Guénon René - La Métaphysique orientale


Auteur : Guénon René
Ouvrage : La Métaphysique orientale
Année : 1985

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J'ai pris comme sujet de cet exposé la métaphysique orientale; peut-être aurait-il mieux valu dire simplement la métaphysique sans épithète, car, en vérité, la métaphysique pure étant par essence en dehors et au delà de toutes les formes et de toutes les contingences, n'est ni orientale ni occidentale, elle est universelle. Ce sont seulement les formes extérieures dont elle est revêtue pour les nécessités d'une exposition, pour en exprimer ce qui est exprimable, ce sont ces formes qui peuvent être soit orientales, soit occidentales; mais, sous leur diversité, c'est un fond identique qui se retrouve partout et toujours, partout du moins où il y a de la métaphysique vraie, et cela pour la simple raison que la vérité est une. S'il en est ainsi, pourquoi parler plus spécialement de métaphysique orientale? C'est que, dans les conditions intellectuelles où se trouve actuellement le monde occidental, la métaphysique y est chose oubliée, ignorée en général, perdue à peu près entièrement, tandis que en Orient, elle est toujours l´objet d'une connaissance effective. Si l'on veut savoir ce qu'est la métaphysique, c'est donc à l'Orient qu'il faut s'adresser; et, même si l'on veut retrouver quelque chose des anciennes traditions métaphysiques qui ont pu exister en Occident, dans un Occident qui, à bien des égards, était alors singulièrement plus proche de l'Orient qu'il ne l'est aujourd'hui, c'est surtout à l'aide des doctrines orientales et par comparaison avec celles-ci que l'on pourra y parvenir, parce que ces doctrines sont les seules qui, dans ce domaine métaphysique, puissent encore être étudiées directement. Seulement, pour cela, il est bien évident qu'il faut les étudier comme le font les Orientaux eux-mêmes, et non point en se livrant à des interprétations plus ou moins hypothétiques et parfois tout à fait fantaisistes; on oublie trop souvent que les civilisations orientales existent toujours et qu'elles ont encore des représentants qualifiés, auprès desquels il suffirait de s'informer pour savoir véritablement de quoi il s'agit. J'ai dit métaphysique orientale, et non uniquement métaphysique hindoue, car les doctrines de cet ordre, avec tout ce qu'elles impliquent, ne se rencontrent pas que dans l´Inde, contrairement à ce que semblent croire certains, qui d'ailleurs ne se rendent guère compte de leur véritable nature. Le cas de l'Inde n'est nullement exceptionnel sous ce rapport; il est exactement celui de toutes les civilisations qui possèdent ce qu'on peut appeler une base traditionnelle. Ce qui est exceptionnel et anormal, ce sont au contraire des civilisations dépourvues d'une telle base; et a vrai dire, nous n'en connaissons qu'une, la civilisation occidentale moderne. Pour ne considérer que les principales civilisations de l'Orient, l'équivalent de la métaphysique hindoue se trouve, en Chine, dans le Taoïsme; il se trouve aussi, d'un autre cote, dans certaines écoles ésotériques de l'Islam (il doit être bien entendu, d'ailleurs, que cet ésotérisme islamique n'a rien de commun avec la philosophie extérieure des Arabes, d'inspiration grecque pour la plus grande partie). La seule différence, c'est que, partout ailleurs que dans l'Inde, ces doctrines sont réservées à une élite plus restreinte et plus fermée; c'est ce qui eut lieu aussi en Occident au moyen âge, pour un ésotérisme assez comparable à celui de l'Islam à bien des égards, et aussi purement métaphysique que celui-ci, mais dont les modernes, pour la plupart, ne soupçonnent même plus l'existence. Dans l'Inde, on ne peut parler d'esoterisme au sens propre de ce mot, parce qu'on n'y trouve pas une doctrine à deux faces, exotérique et ésotérique; il ne peut être question que d'un ésotérisme naturel, en ce sens que chacun approfondira plus ou moins la doctrine et ira plus ou moins loin selon la mesure de ses propres possibilités intelectuelles, car il y a, pour certaines individualités humaines, des limitations qui sont inhérentes à leur nature même et qu'il leur est impossible de franchir. Naturellement, les formes changent d'une civilisation à une autre, puisqu'elles doivent être adaptées à des conditions différentes; mais, tout en étant plus habitué aux formes hindoues, je n'éprouve aucun scrupule a en employer d'autres au besoin, s'il se trouve qu'elles puissent aider la compréhension sur certains points: il n'y a à cela aucun inconvénient, parce que ce ne sont en somme que des expressions diverses de la même chose. Encore une fois, la vérité est une, et elle est la même pour tous ceux qui, par une voie quelconque, sont parvenus à sa connaissance. Cela dit, il convient de s'entendre sur le sens qu'il faut donner ici au mot «métaphysique», et cela importe d'autant plus que j'ai souvent eu l'occasion de constater que tout le monde ne le comprenait pas de la même façon. Je pense que ce qu´il y a de mieux à faire, pour les mots qui peuvent donner lieu à quelque équivoque, c'est de leur restituer autant que possible leur signification primitive et étymologique. Or, d'après sa composition, ce mot «métaphysique» signifique littéralement «au delà de la physique», en prenant «physique» dans l'acception que ce terme avait toujours pour les anciens, celle de «science de la nature» dans toute sa généralité. La physique est l'étude de tout ce qui appartient au domaine de la nature; ce qui concerne la métaphysique, c'est ce qui est au delà de la nature. Comment donc certains peuventils prétendre que la connaissance métaphysique est une connaissance naturelle, soit quant à son objet, soit quant aux facultés par lesquelles elle est obtenue? Il y a là un véritable contresens, une contradiction dans les termes mêmes; et pourtant, ce qui est le plus étonnant, il arrive que cette confusion est commise même par ceux qui devraient avoir gardé quelque idée de la vraie métaphysique et savoir la distinguer plus nettement de la pseudo-métaphysique des philosophes modernes. Mais, dira-t-on peut-être, si ce mot «métaphysique» donne lieu à de telles confusions, ne vaudrait-il pas mieux renoncer à son emploi et lui en substituer un autre qui aurait moins d'inconvénients? À la vérité, ce serait fâcheux, parce que, par sa formation, ce mot convient parfaitement à ce dont il s'agit; et ce n'est guère possible, parce que les langues occidentales ne possèdent aucun autre terme qui soit aussi bien adapté à cet usage. Employer purement et simplement le mot «connaissance», comme on le fait dans l'Inde, parce que c'est en effet la connaissance par excellence, la seule qui soit absolument digne de ce nom, il n'y faut guère songer, car ce serait encore beaucoup moins clair pour des Occidentaux, qui, en fait de connaissance, sont habitués à ne rien envisager en dehors du domaine scientifique et rationnel. Et puis est-il nécessaire de tant se préoccuper de l'abus qui a été fait d'un mot? Si l'on devait rejeter tous ceux qui sont dans ce cas, combien en aurait-on encore à sa disposition? Ne suffit-il pas de prendre les précautions voulues pour écarter les méprises et les malentendus? Nous ne tenons pas plus au mot «métaphysique» qu'à n'importe quel autre; mais, tant qu'on ne nous aura pas proposé un meilleur terme pour le remplacer, nous continuerons à nous en servir comme nous l'avons fait jusqu'ici. Il est malheureusement des gens qui ont la prétention de «juger» ce qu'ils ignorent, et qui, parce qu'ils donnent le nom de «métaphysique» à une connaissance purement humaine et rationnelle (ce qui n'est pour nous que science ou philosophie), s'imaginent que la métaphysique orientale n'est rien de plus ni d'autre que cela, d'où ils tirent logiquement la conclusion que cette métaphysique ne peut conduire réellement à tels ou tels résultats. Pourtant, elle y conduit effectivement, mais parce qu'elle est tout autre chose que ce qu'ils supposent; tout ce qu'ils envisagent n'a véritablement rien de métaphysique, des lors que ce n'est qu'une connaissance d'ordre naturel, un savoir profane et extérieur; ce n'est nullement de cela que nous voulons parler. Faisons-nous donc «métaphysique» synonyme de «surnaturel»? Nous accepterions très volontiers une telle assimilation, puisque, tant qu'on ne dépasse pas la nature, c'est-à-dire le monde manifesté dans toute son extension (et non pas le seul monde sensible qui n'en est qu'un élément infinitésimal), on est encore dans le domaine de la physique; ce qui est métaphysique, c'est, comme nous l'avons déjà dit, ce qui est au delà et au-dessus de la nature, c'est donc proprement le «surnaturel». ...

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