Brigneau François - 1939-1940 L'année terrible


Auteur : Brigneau François
Ouvrage : 1939-1940 L'année terrible Le dernier été de la paix - Le premier hiver de la guerre - L’explosion du printemps - L’espérance dans les ruines
Année : 1990

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A DEUX MOIS DE LA GUERRE, PARIS DANSE ET DALADIER PECHE LE MERLAN À CONCARNEAU. - Contre la guerre ! Contre les oligarchies financières ! Contre l'ingérence étrangère, demandez La Flèche ! Ce dimanche 9 juillet 1939, comme tous les dimanches d'été, un peu avant midi, j'arpente la place Jean- Jaurès à Concarneau, devant les remparts de la ville close et son beffroi où le cadran solaire dit que le temps passe comme l'ombre. Un paquet de journaux en plastron sur la poitrine, je crie mes slogans et propose aux premiers touristes de la saison l'hebdomadaire de Gaston Bergery. Mon succès est mince. Si l'importance politique de La Flèche n'est pas négligeable, le grand public l'ignore. Son audience ne peut se comparer aux grands « hebdomadaires politiques, littéraires et artistiques » de l'époque, comme Gringoire, Candide ou Marianne. Songez que Gringoire qui, dans chaque numéro, offrait à ses lecteurs des pleines pages de romans en feuilletons, plusieurs nouvelles, des récits historiques, des enquêtes, des reportages, des articles politiques, de grandes critiques littéraires, des chroniques, des échos, le pamphlet de Béraud trente fois l'an, le tout pour un franc et sans publicité, atteignit un tirage de 800.000 exemplaires ! On avait le temps de lire. Il est vrai que la télé n'existait pas. La Flèche ne peut se comparer à ces géants. C'est un journal qui se veut de gauche, mais d'une gauche nonconformiste, hostile aux staliniens, opposée à Léon Blum et très critique à l'endroit des chefs radicaux comme Herriot et Daladier. Les journalistes que La Flèche a rassemblés viennent d'horizons et sont de tempéraments différents. On les trouvera dans tous les camps de la guerre civile qui se prépare. Jeanson est un anar de cinéma qui lancera un des premiers quotidiens de l'Occupation, Aujourd'hui, avant d'être arrêté par les Allemands. Galtier- Boissière, grand bourgeois, voltairien, ancien combattant pacifiste, se révélera boutefeu de 1940 à 1944, ne parlant que de fusiller les « collabos », mais lancera la première campagne pour l'amnistie (dans L'Intransigeant) et ouvrira à Rebatet, sortant du bagne, les colonnes du Crapouillot. Félicien Challaye, universitaire distingué, membre éminent de la Ligue des Droits de l'Homme, fmira dans la collaboration tandis que Christian Fouchet rejoindra Londres, dès l'été 1940. Hubert Lagardelle, théoricien du syndicalisme révolutionnaire, puis du fascisme, était l'ami de Benito Mussolini. Laval se servit de lui lors de tentatives de négociations avec Rome. L'ensemble pouvait dérouter. Gaston Bergery lui-même n'était pas un personnage simple. Avocat d'affaires, très mondain, marié en secondes noces à Lubova Krassine, fille de l'ancien ambassadeur soviétique à Paris, il aurait pu sortir d'un roman d'Huxley. Il avait fait dans l'infanterie ce qu'on appelait alors une « guerre brillante », blessé et plusieurs fois cité. Il avait participé à la Conférence de la Paix et à la Commission des Réparations. Chef du cabinet d'Herriot, au quai d'Orsay, en 1926, une carrière politique importante lui semblait assurée dans le système. On le voyait à la tête du parti radical et futur ministre des Affaires étrangères. C'était oublier que ce nonchalant sarcastique, qui ressemblait à Jouvet, était sans concession, que ce sceptique croyait à ses idées, et que cet ambitieux ne détestait pas le paradoxe. Elu, en 1932, à Mantes (Seine-et-Oise), Bergery démissionna en 1934 parce que la majorité de gauche, à laquelle il appartenait, venait de porter à la présidence du conseil un homme du centre droit et mou, Gaston Doumergue, dit Gastounet, dit Merguedou, président de la République à la retraite, franc-maçon méridional (loge: L'Echo du Grand Orient), qu'on était allé chercher à Tournefeuille, en catastrophe, pour faire oublier le 6 février, les scandales et les morts. Naturellement dans l'élection partielle qui suivit, Bergery fut blackboulé. Réélu en 1936, il devint vite l'adversaire du Front populaire dont il avait été l'un des instigateurs. Il dénonçait la politique sociale et étrangère de Blum. En 1938, Gaston Bergery fut un munichois lucide et de raison. En 1939, il met toute son énergie, toute son intelligence dans la bataille pour la paix. C'est le ciment de son journal et de l'équipe qui lui est restée fidèle. C'est pourquoi, obscur jeune homme perdu au bout du Finistère, je suis là, solitaire et obstiné, à m'égosiller dans l'indifférence générale: - Contre la guerre ! Contre les ingérences étrangères ! Contre les oligarchies financières ! Demandez La Flèche ! Il faut bien que jeunesse se dépasse. L’Odeur de la guerre Il fait beau. C'est un des rares beaux jours de ce dernier été de la paix qui fut maussade et gris. - Soixante jours de pluie et puis la guerre, rapporte Fabre-Luce. Je déambule, toujours sans grand succès. - Demandez La Flèche ! Parfois des badauds me conseillent de me la mettre quelque part. D'autres m'arrêtent. Ils engagent la conversation. Ils ne croient pas, ils ne croient plus à la guerre. Leurs arguments ne sont pas sans force. A la mort du maréchal Hindenburg (2 août 1934), Adolf Hitler est devenu le Führer, le chancelier et le maître absolu de six millions de chômeurs et d'un pays au bord du chaos (1). Vingt mois plus tard, violant le traité de Versailles et le pacte de Locarno, il profite d'un week-end pour occuper militairement la Rhénanie (7 mars 1936). Il ne possède que quelques divisions de jeunes recrues mal entraînées. La France, sortie victorieuse de la Grande Guerre, passe pour avoir la plus puissante armée du monde. Le coup de force du Führer est un dangereux coup de poker. Il avouera, plus tard, avoir redouté le pire, c'est-à-dire, pour lui, le repli de ses soldats. Le président du conseil français, Albert Sarrault, radical-socialiste et franc-maçon, prononce à la radio un discours romain qui semble annoncer des représailles: - Nous ne sommes pas disposés à laisser placer Strasbourg sous le feu des canons allemands, dit-il avec une rare détermination et l'accent de Toulouse. Mais ce sera tout! Ce sera la seule riposte au premier grave défi hitlérien. Le gouvernement de gauche d'Albert Sarrault n'était surtout « pas disposé» à mobiliser des électeurs, à quelques semaines d'une élection législative où la victoire du Front populaire était annoncée (3 mai 1936). Il faut ajouter que, si nous l'avions fait. nous aurions été seuls. L'Angleterre n'aurait pas suivi. En 1939, l'Angleterre poussait à la guerre. En 1936, elle freinait. Quoi qu'il en soit, en mars 1936, nous n'avons pas fait la guerre alors que la menace allemande était directement dirigée contre nous et que le rapport des forces nous était favorable. Nous ne l'avons pas faite non plus le 12 mars 1938, quand Hitler entra dans Vienne, pavoisée, et annexa l'Autriche ! Comment aurait-on pu déclarer la guerre, ou quoi que ce fût ? Nous étions sans gouvernement. Camille Chautemps venait de démissionner. Léon Blum ne le remplacerait que le lendemain, le 13, et pour quelques jours seulement, puisqu'il s'en irait le 10 avril 1938 ... Ce ne sont pas de bonnes dispositions pour engager un conflit. Rappelons à ce propos que, de l'armistice de 1918 à la déclaration de guerre de 1939, quarante gouvernements se succédèrent à Paris – en majorité de gauche. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause majeure de la défaite. Nous ne fimes pas la guerre en septembre 1938, quand Hitler, après plusieurs semaines de tension, décida de réunir au Reich un morceau de la Tchécoslovaquie, le pays sudète, peuplé de trois millions d'Allemands. Nous ne fîmes pas la guerre le 15 mars 1939, quand Hitler, malgré les assurances qu'il avait données, circonvint le président Hacha, entra dans Prague et étendit sa « protection » sur la Tchécoslovaquie tout entière. Alors pourquoi ferait-on la guerre aujourd'hui? Pour empêcher Hitler de prendre Dantzig, ville à majorité allemande, dont le Sénat est déjà acquis aux nationaux-socialistes (2) ? Ce n'est pas sérieux. Cette ville n'est même pas polonaise. A Versailles, on l'avait déclarée « ville libre» et placée sous l'autorité de la SDN. C'était une des extravagances du traité. Allait-on déclencher une guerre, qui ne pourrait pas ne pas devenir une guerre mondiale, pour s'opposer à une revendication, somme toute justifiée, d'Hitler, alors qu'on lui en avait accordé d'autres qui ne l'étaient pas ? Pourriez-vous nous le dire, jeune homme? Non, je ne le pouvais pas. Je lisais beaucoup. J'écoutais beaucoup. J'essayais de comprendre. Mais j'étais incapable d'expliquer logiquement, avec des faits et un raisonnement construit, comment et pourquoi, à l'encontre de la majorité des gens, je sentais monter l'odeur de la guerre au-dessus du parfum des jardins mouillés. ...

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