Nodier Charles - Histoire des sociétés secrètes de l'armée


Auteur : Nodier Charles
Ouvrage : Histoire des sociétés secrètes de l'armée et des conspirations militaires qui ont eu pour objet la destruction du gouvernement de Bonaparte.
Année : 1815

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Si le sujet que j’entreprends de traiter s'était offert à la plume de Salluste ou de Machiavel, le livre qui en serait sorti pourrait être recommandé avec confiance à tous les pays et à tout les âges, comme un des plus précieux monumens de l'histoire. Les événemens qu'ils ont racontés, et que leur génie a revêtus d'un charme si puissant, étaient bien loin de présenter le degré d'intérêt qui distingue ceux dont je vais faire le récit ; et tel est le caractère de ces derniers, qu'il me rassure, jusqu'à un certain point, sur ma propre insuffisance. Leur importance doit fixer l'attention du Lecteur et la soutenir long-temps, sans qu'il soit besoin de leur prêter un genre de mérite auquel je suis peut-être incapable d'atteindre. Qu'il me suffise d'établir le plan de cet ouvrage dans quelques lignes préliminaires. A l'instant où Bonaparte s'élevait, il se formait en France un parti rival qui avait juré sa chute, et qui devait l’opérer un jour. Cette conspiration a duré quatorze ans, a embrassé tous les rangs, tous les états de la société, s'est étendue sur l'Europe entière, et a fini par consommer la perte de la tyrannie, sans être soupçonnée , ou du moins sans être connue. Souvent déjouée dans ses plans les plus hardis, dans ses tentatives les mieux combinées, elle n'a jamais été compromise en elle-même et pénétrée dans ses secrets essentiels. Elle a vu tomber tour-à-tour ses chefs les plus distingués, ses agens les plus audacieux; mais elle leur a survécu ; et toujours puissante au milieu de ses mines qui se réparaient sans cesse, elle n'a terminé la guerre à mort, qu'elle livrait au despotisme, qu'après en avoir triomphé. Aujourd'hui même, le mystère qui l'entourait n'est dissipé qu'à demi. Les grands coups qu'elle a portés au colosse qui écrasait l'Europe, ont décelé son existence à quelques esprits judicieux; mais elle est devinée plutôt que découverte, et elle ne présente encore aux observateurs et aux historiens indécis qu'un problème difficile qu'il est permis a elle seule de résoudre. Ceux qui ne jugent les évènements que par leurs effets, sans pouvoir remonter aux causes qui les ont produits et aux ressorts qu'on y a fait agir, sont exposés à porter d'étranges jugemens dans les temps de révolution. Ainsi, je ne crois pas qu'il y ait un seul homme de sens qui ait pu se rendre raison de la conspiration de Moreau et de celle de Mallet, sur les renseignemens qu'il est permis de tirer de leurs procédures, et des révélations tronquées dont se composent les prétendues histoires qu'on nous en a données jusqu'ici. Le voyage de Pichegru et de ses compagnons de courage, de dévouement et d'infortune, sur la foi d'un officier sans crédit, perdu de dettes et peu recommandable par la profondeur de ses vues et la sûreté de ses conjectures, serait le comble de la déraison, si le nom de Moreau avait été la seule garantie de cette entreprise, et si le rapport de Lajolais en avait été le seul nœud. L'hésitation de Moreau ne serait pas moins inexplicable, dans le moment où cette hésitation faisait perdre tout le fruit d'une des tentatives les plus hasardées dont il soit question dans l'histoire. La conjuration de Mallet a un caractère encore plus romanesque, et l'on en devine moins les moyens. On ne peut concevoir comment un général, qui n'a pas même une certaine réputation militaire, et qui ne se recommande guère à l'estime des gens qui le connaissent que par une ténacité d'opinion qui n'a jamais influé sur le sort de sa patrie, et par quelques malheurs sans éclat, parvient dans un petit nombre d'heures à s'entourer d'officiers dévoués et à menacer le despotisme dans toute sa puissance d'une chute presque infaillible. C'est le secret de ces grands problèmes politiques que je me propose de donner, quoique je ne me dissimule point, dès le commencement de ma tâche, que mon récit doit souvent paraître invraisemblable à ceux pour qui toutes les notions sur lesquelles il repose sont entièrement nouvelles. Je conviens que peu d'histoires écrites à plaisir, sous l'inspiration d'une imagination exaltée, le cèdent en singularité à celle- ci, et cependant il n'y a rien qui ressemble moins à un roman. Six mille Français ont été dans la confidence de tous les faits principaux, et quant aux faits qui par leur nature ne peuvent avoir été communiqués qu'à un petit; nombre de personnes, plus de vingt existent encore qui les connaissent tout aussi bien que moi. Si je ne me nomme point à tête de ces Mémoires, la suite en expliquera les raisons, et je ne m'en soumets pas moins en écrivant à toute la responsabilité d'un homme d'honneur qui s'engage à ne dire que la vérité, et à la dire toute entière, autant qu'elle peut sans manquer à ses sermens, ou sans choquer des intérêts personnels respectables. J'ai cependant hésité longtemps à publier les faits dont je parle, et je dois examiner rapidement la considération qui m'arrêtait, quoique je ne pense pas qu'un homme de bonne foi puisse la convertir en reproche contre moi, de quelque opinion qu'il soit d'ailleurs. L'histoire que je raconte est celle d'une Société secrète, dont le secret s'est si bien conservé que son nom même est à peine connu hors de son propre sein, quoiqu'elle ait failli plusieurs fois influer sur le sort du monde. Je suis membre de cette Société secrète, et je suis lié à ses lois par les engagemens les plus sacrés. De quel droit osai-je donc la révéler à la France et à l'Histoire, et quelle puissance supérieure me dégagera des promesses que je lui ai faites, quand elle daigna m'admettre à ses projets et à ses mystères ? Je réponds que l'existence de cette Société n'a jamais été que temporaire; que la Société avait un but de restauration qui est rempli, et qu'à dater du moment où elle manque de but, elle rentre dans la catégorie des institutions ordinaires de ce genre; que les révélations qui font l'objet de mon ouvrage ne portent que sur l'influence historique de cette Société, sur l'action de ses principaux membres, sur les vues et le caractère de ses chefs ; qu'elles ne compromettent ni sa doctrine, ni ses pratiques, ni ses signes de reconnaissance, ni le lieu de ses rassemblemens, ni le nom des hommes distingués par leur esprit ou par leur bravoure, qui font encore aujourd'hui l'ornement de l'institution; que je ne me suis permis de nommer que les morts, et toujours d'une manière glorieuse pour leur mémoire. Enfin, j'ajoute, pour compléter ma justification, qu'il n'y a point de Société secrète qui n'ait souffert l'impression de ses annales, et même celle de ses statuts et de sa discipline intérieure. Mes sermens ne m'ont point attaché d'une manière si stricte que je ne puisse nommer un corps respectable qui tient des assemblées connues dans différents lieux du monde, sans y dissimuler son existence ; et si ce nom parait pour la première fois dans un livre, je ne crois pas qu'on puisse me faire un crime d'avoir rompu le premier le silence qui le tenait caché, quand il est de fait que ce silence n'est point obligatoire dans les statuts et réglèmens de l'ordre. Cette justification reçue, j'ai peu à cœur de me défendre contre les autres reproches qui pourront s'élever contre moi. Étranger à l'art d'écrire, j'ai passé quinze ans de ma vie au milieu de la poudre des armes, et depuis que mes blessures m'ont forcé à quitter l'armée, je ne m'occupe que des soins de l'agriculture, doux repos de mes fatigues passées. Ce n'est guère dans le tumulte des camps et dans les travaux de la vie rurale qu'on peut se préparer des succès littéraires, et je ne m'en suis point promis. Toutes mes espérances se bornent à rendre encore un service important à l'Etat auquel je suis dévoué, et à la Société particulière dont j'ai l'honneur d'être membre; le Roi ne peut que gagner à connaître les serviteurs zélés et fidèles qui provoquaient son retour par leurs vœux et par leurs efforts. Quant à l'institution elle-même dont les destinées sont actuellement accomplies d'une manière irrévocable, elle était digne d'être consacrée par un monument plus durable et par des plumes plus éloquentes; mais elle ne pouvait pas recevoir un hommage plus pur que le mien. ...

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