Auteur : Aegerter Emmanuel
Ouvrage : La vie de Joachim de Flore
Année : 1928
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Joachim, futur visionnaire, vint au monde vers l’an 1133, dans un double paysage singulier, étrange au regard de la chair dans son aspect terrestre, comme au regard de l’âme dans ses horizons spirituels. Il naquit en Calabre – à Celico. Cette province figurait alors la pièce farouche dans ce royaume bigarré des Deux-Siciles qui fournit à l’Italie pendant tout le haut moyen âge, ses philosophes et ses mystiques. Alors que les riches et faciles régions du Centre et du Nord s’illustraient d’artistes, la terre méridionale, sombre et brûlée dans ses verdures, portait la floraison amère des théoriciens et des ascètes. Bouleversée par l’énorme ossature des Apennins, la Calabre rappelle parfois l’Espagne : même violence dure, même âpreté chargée de mystère. De noires forêts l’enténébraient ; ses vallées encaissées retentissaient du bruit sourd des cascades. Ce caractère géographique avait modelé des habitants d’une gravité méfiante, vivant de leurs cultures et de leurs troupeaux chassés chaque printemps de leurs fermes par les miasmes et se réfugiant sur les hauts plateaux jusqu’aux pluies, en petits groupes oisifs. Un tel exil périodique leur avait donné le goût presque agressif de la dialectique, comme les exhalaisons de la malaria les imprégnaient d’une fièvre volontiers hallucinatoire. Ces forêts impénétrables, ces replis obscurs au creux des montagnes hantées de passants rapides, créaient la sensation de l’isolement et par là même entretenaient le feu solitaire de l’indépendance. Plus haut encore, dominant les fermes du travail et les abris à flanc de montagne, dans de froides régions, les ermites grecs, les anachorètes, qui nichaient sur des rocs escarpés comme des tours de légende, exaltaient encore ces sentiments d’individualisme, vivaient dans leur cabane loin du siège apostolique, en relation directe avec Dieu, dans une sorte de schisme inconscient. Le lourd massif convulsé apparaissait ainsi comme un tableau symbolique aux étages imagés : en bas les paysans labourant, paissant les troupeaux, les bourgeois des petites cités acharnés à leur labeur familier ; à mi-hauteur, des asiles de discussion et de syllogismes ; et sur les sommets un peuple de moines, au-dessus des nuages. Tout de même, malgré ces rudes saisons, malgré ces îlots d’abrupte sainteté, de larges vallées d’oliviers et de vignes, laissant affleurer çà et là les ruines de cités antiques qui furent ardentes et molles, baignaient encore dans une lumière grecque. ...
Aubert Edouard - La vallée d'Aoste
Auteur : Aubert Edouard Ouvrage : La vallée d'Aoste Année : 1860 Lien de téléchargement :...