Histoire Ebook

Auteur : Breton Pierre
Ouvrage : Sous le radar
Année : 2014

Lien de téléchargement : Breton_Pierre_-_Sous_le_radar.zip

Merci, camarade Staline. Au lieu de statuettes du Sacré-Coeur dans leur niche ou d’images de mater dolorosa accrochées au mur, ce sont des icônes du camarade Staline, le petit père des peuples, ou de son successeur, le roublard tovaritch Khrouchtchev, que les habitants du village auraient dû adopter pour représenter leurs dieux tutélaires. C’est à eux en effet qu’il devait son exceptionnelle prospérité. À eux, aux Appalaches et à sa proximité avec la frontière américaine. La guerre froide l’avait placé au centre de la géostratégie planétaire. Mon frère Fernand, plus vieux d’une demi-douzaine d’années, m’avait déjà expliqué de quoi il retournait. Fernand se jetait sur Le Soleil dès qu’il arrivait à la maison et dévorait tous les bouquins qu’il réussissait à trouver. Les Russes et les Américains, m’expliqua Fernand, ne s’aimaient pas la face. — Un peu comme les Rouges et les Bleus ? suggérai-je. — Si tu veux. D’ailleurs, les Russes sont eux aussi des Rouges. Me laissant à ma perplexité, il précisa que Russkofs et Amerlots passaient leur temps à s’offrir des claques sur la gueule. — Comme nous et les gars de Saint-Elzéar ? Acquiescement excédé de mon frère qui me demanda de ne plus l’interrompre. Il y a une dizaine d’années, poursuivit-il, les Russes ont fait exploser dans le désert du Kazakhstan une bombe H cent fois plus puissante que la bombe atomique, laquelle n’était déjà pas de la petite bière, tu en parleras aux Japonais. Une seule bombe H, tint-il à préciser, pouvait réduire Montréal en cendres. Mais ce qui avait vraiment flanqué la chienne aux États, c’est que les suppôts de Staline avaient construit un bombardier, le Tupolev TU-95 Bear, capable de s’envoler de Russie pour aller larguer ses bombinettes sur Boston, Chicago ou New York. J’allais demander, inquiet pour mon bien-aimé WPTR : « Et sur Albany aussi ? », mais je me rappelai l’avertissement de Fernand. Donc, continua-t-il, les Américains avaient la frousse et se demandaient quoi faire pour empêcher les Soviétiques de traverser par surprise le beau Canada du nord au sud pour aller détruire les usines Studebaker en Indiana ou les empilements de cages à homards dans le Maine. C’est là qu’ils ont eu l’idée de bâtir une chaîne de stations radar au sud du Canada – la ligne Pinetree, précisa ma tête à Papineau de frère – afin d’être avertis si jamais le Politburo, un soir qu’il aurait trop forcé sur la vodka, décidait de détruire le monde. Et par un extraordinaire coup de bol, notre paroisse, qui s’enorgueillissait de l’un des plus hauts sommets à des centaines de kilomètres à la ronde, fut choisie pour accueillir l’une des trente-trois stations radar. ...